vendredi 24 novembre 2017

Le véhicule autonome vu par l’administration et la recherche publique

Comme je l’avais annoncé dans un post, en début de semaine, la DSR (Délégation à la Sécurité Routière) a organisé une journée d’études sur le thème du véhicule autonome. C’est un thème non seulement très à la mode, mais aussi un domaine qui intéresse au plus haut point le gouvernement, comme le prouve la consultation lancée sur ce thème en septembre et l’évolution de la feuille de route annoncée par Le Premier Ministre. Autant dire que le timing, bien qu’involontaire, était parfait. L’objectif de la journée était d’exprimer la vision de l’administration et de la recherche publique. Aucun industriel n’était convié, contrairement à la journée des 10 ans de la Fondation Sécurité Routière. Je dois dire que cette réunion a permis de voir comment fonctionne l’administration française, et rien que pour cela je ne regrette pas d’être venu, d’autant que je me trouvais dans l’antre de la Sécurité Routière, dans ce bâtiment de couleur rouge près de la Place de la Nation, qui accueille également les réunions du CNSR (Conseil National de Sécurité Routière).



Pour faire simple, l’administration vit dans un monde parallèle, où on se désole de voir la technologie évoluer si vite car les pouvoirs publics subissent la loi du numérique. Et ce n’est plus comment avant, on peut plus difficilement contrôler. Dans cet univers, qui regorge d’acronymes (DGE, DGTIM, UCLIR…), et où on mêle volontiers du sabir administratif* et avec de l’anglicisme, on aime dire que le véhicule autonome n’ira pas aussi vite que l’affirment les journalistes (la profession a été citée plusieurs fois). On s’interroge gravement sur les impacts, en noircissant par principe le tableau. Exemple : comme l’habitacle sera plus confortable, les gens vont donc rester plus longtemps dans leur voiture (qui ira se garer toute seule) et ils ne prendront pas les transports en commun. A moins que les clients, notamment les jeunes, ne s’embêtent. Dans les ministères, on veut croire que l’automatisation va apaiser le trafic, tout en s’inquiétant de la cohabitation avec les autres usagers. Le pronostic est d’un « petit demi-siècle » pour la période de transition.

Cela rassure les chercheurs, dont une dame âgée qui est venue interrompre une conversation à la pause pour me dire qu’il ne fait pas écouter tout ce qu’on dit, et que ça n’arrivera pas. Bref, il y avait un petit côté « Lost in translation ».


Mais bon, pour une fois que la Sécurité Routière parle de véhicules, on ne va pas se plaindre. Au moins, les participants ont appris que 46 demandes de tests avaient été déposées en France pour le véhicule autonome, dont 19 pour la seule année 2017. Cela concerne aussi bien des voitures que des navettes autonomes. Il n’y a pas eu un seul accident, mais des incidents (perte de localisation, interactions avec les autres usagers…). Pour déposer un dossier de VTPTD (Véhicule à Délégation Partielle ou Totale de Conduite), il faut remplir un dossier technique et répondre à un questionnaire de 67 lignes, en précisant notamment la nature de l’expérimentation, ainsi que la procédure qui met fin à l’autonomie de conduite. Et quand tout est OK, on obtient une plaque W. Plusieurs acteurs sont impliqués dans le processus de décision, dont le ministère de l’Ecologie, celui de l’Intérieur, celui de l’Economie et même Matignon (dont dépend l’agence ANSSI qui supervise en France la cybersécurité). On peut faire confiance à l’administration pour bétonner les tests et faire en sorte que les gestionnaires de voirie soient prévenus, et tout et tout. Début 2018, il va y avoir des évolutions, puisque les robots-taxis seront pris en compte et qu’un registre national des expérimentations sera tenu.

Et pourtant, nos fonctionnaires de choc ne sont pas encore en mesure de présenter une belle législation sur le véhicule totalement autonome. A leur décharge, c’est encore un peu tôt, même si certains acteurs veulent aller plus vite, comme par exemple Navya dont l’Autonomous Cab a été projeté à titre d’illustration. Sur la réglementation, c’est Joël Valmain, un conseiller technique de la DSR qui joue le rôle d’expert auprès des instances de l’Europe et de l’ONU qui a tout expliqué. Modérateur de cette journée, il a montré qu’il méritait bien ses galons de Président de l’IGEAD (Informal Group of Experts on Automated Driving). Je vous fais grâce des groupes de travail (WP1, WP29). Ce qu’il faut retenir, c’est que la Convention de Vienne a évolué en mars 2016 et qu’elle intègre désormais les aides à la conduite (ABS, ESP et même Autopilot de niveau 2), ou plus exactement les « systèmes ayant une incidence sur la conduite ». Autres avancées, le Park Assist est lui aussi reconnu (y compris pour la manœuvre de parking à distance à partir d’une application ou d’une télécommande, à condition que le conducteur ne soit pas éloigné de plus de 6 m). Il y a même une ouverture sur le fait que la personne derrière le volant puisse faire d’autres activités. Cela peut faire sourire, mais il n’est pas si évident de faire converger des règles avec des pays qui n’ont pas signé la Convention de Vienne (USA, Japon, Corée, Grande-Bretagne, Espagne...). Du coup j’ai entendu qu’une nouvelle convention serait peut-être souhaitable en 2020. Quelqu’un a suggéré aussi de faire l’équivalent du RDE pour mesurer sur route si les constructeurs ne trichent pas avec leur logiciel de conduite autonome.

Tout cela nous mène à l’homologation. Il faudra que le constructeur prouve qu’il a bien testé son véhicule sur des millions de km et qu’il a bien fait tout ce qu’il fallait pour la fiabilité. Certains qualifient de « leurre » les simulations virtuelles. D’autres ronchonnent en disant qu’il faudrait faire plus attention à la cybersécurité (déjà prise en compte par l’industrie automobile).


Les présentations ont été très inégales. J’ai bien aimé celle de Sébastien Glaser de l’IFSTTAR qui a bien retracé l’historique en matière de recherche sur le sujet). Par contre, j’ai été surpris du manque de rigueur de l’étude que la Fondation MAIF a réalisé pour le compte de l’UTAC-CERAM. 4 véhicules ont été testés (BMW Série 7, Mercedes Classe S, Tesla Model S, Volvo V90, des modèles s'échelonnant de 2013 à 2016) pour éprouver leur Autopilot de niveau 2 sur des parcours alternant autoroute, voie rapide, routes nationale et départemental autour de Montlhéry. 1200 km de test pour chaque auto, qui n’a pas été testée dans les mêmes conditions météo. On retiendra sinon que l’IHM (interface homme-machine) n’est pas au niveau et que les systèmes ne voient pas des bus qui traversent, des piétons sur le bord de la route, ainsi que les stops, les feux tricolores et les ronds-points. Des défauts qui ont suscité des rares gras dans l’assistance. Sinon, je n’ai pas compris grand-chose au think tank Unir (Une nouvelle idée de la route) lancé par la Prévention Routière, et qui se veut un agitateur d’idées, en intégrant les réflexions de chercheurs en sciences sociales. La présentation était brouillonne.

Enfin bon, j’ai envie de citer en conclusion la NHTSA (l’équivalent de la Sécurité Routière), qui a dit que « le véhicule autonome était inévitable ». C’est du moins ce qu’a rapporté Joël Valmain, lors d’un voyage dans la Silicon Valley (où il a testé la Google Car). Et quand même, si, la Sécurité Routière elle-même espère que cette évolution technique va avoir un rôle sur la baisse des accidents. Elle en attend beaucoup, en fait. Mais pour l’instant, l’administration ne sait pas si l’impact sera positif et n'a pas d'outils pour l'évaluer.

*Comprenez-vous l’expression : « le locus de contrôle est interne » ? Elle a été utilisée pour qualifier la perception par l’automobiliste des systèmes d’assistance.