samedi 12 août 2017

Voiture autonome : Ralph Nader se trompe

Depuis des années, je reçois la newsletter d'Automates Intelligents, une publication sur la robotique. Si j'en parle ici, c'est parce qu'une première analyse sur le plan de Nicolas Hulot en prévision de 2040 m'a fait sourire*, et qu'une autre sur la voiture autonome ("les mensonges des promoteurs de la voiture sans conducteur") tourne à la critique grossière. Citant Ralph Nader, le père des écologistes engagés, la newsletter évoque "un véritable brigandage organisé", à propos de la "prétention" de l'industrie automobile à développer à grande échelle les voitures sans conducteur. On vous explique, les petits biquets ?

Pour faire simple, l'analyse est la suivante. Selon Ralph Nader, les constructeurs automobiles font le buzz avec des prototypes qui roulent sur des itinéraires protégés. Ca ne pourra pas marcher dans le trafic réel et il vaudrait mieux investir dans le transport public de masse, plutôt que de dépenser de l'argent public dans les autoroutes. Vous pouvez lire ici le texte de Ralph Nader et vous faire votre propre opinion.

A ce stade, on peut déjà apporter quelques réponses. Ralph Nader semble ignorer que les constructeurs font leurs tests sur route ouverte, et ce dans le monde entier. Il cite l'exemple de New-York pour dire que c'est impossible de faire cohabiter des voitures autonomes et des voitures conduites par l'homme. Qu'il vienne à Paris voir ce que Valeo est en train de préparer, avec la traversée de la place de l'Etoile, d'abord de nuit, puis de jour. En ce qui me concerne, j'ai roulé à maintes reprises dans des véhicules autonomes évoluant dans le trafic.

Là où Ralph Nader a raison, c'est que le niveau 3 présente un risque : celui que le conducteur ne reprenne pas les commandes à temps. Dans ce cas, le véhicule pourrait s'arrêter (techniquement, on sait déjà faire). Sinon, on pourrait directement passer au niveau 4, comme souhaite le faire Volvo. Sur les risques de cyber-attaques, Nader a aussi raison. Il faut s'y attendre, mais l'industrie y travaille. Par contre, il exagère franchement sur la question des données et l'éthique. Mais, rappelons qu'il est américain. Les européens eux discutent de ces choses-là.

Quant à son appel pour les transports publics de masse, c'est une vision très américaine de la mobilité. Aux Etats-Unis, les métros, tramways et autres modes de transport partagés sont beaucoup moins développés. Cela dit, je ne vois pas pourquoi on devrait opposer les deux. Une voiture autonome en mode partagé peut justement jouer le rôle d'un taxi collectif, en complément d'un réseau de transports en commun (et opéré au passage par l'opérateur de transport). En fait, l'automatisation est une vague qui va gagner le bus, tout comme la voiture particulière et le camion.

Venons-en maintenant à l'analyse d'Automates Intelligents. "Si en termes techniques, de telles voitures seront vite au point, à des coûts acceptables pour l'acheteur, elles ne pourront jamais être utilisées dans les conditions normales du trafic automobile", est-il écrit. Sauf que c'est faux. Le Traffic Jam Assist permet déjà de laisser la voiture gérer toute seule l'accélération, le freinage et la direction (tout en gardant pour l'instant au moins une main sur le volant) dans les bouchons. C'est justement au coeur d'un trafic très saturé que ce type de véhicule se justifie.

La newsletter écrit encore : "il ne sera jamais possible de créer de nouvelles voies accessibles à la conduite sans chauffeur". Mais, qui parle de nouvelles voies** ? Est ce qu'on a déjà entendu des constructeurs réclamer la construction de nouvelles autoroutes ? Bien sur que non, puisque la vertu des véhicules autonomes sera de se déplacer de façon plus intelligente en utilisant les mêmes infrastructures, qui pourraient par contre être optimisées avec des moyens de communication. Par contre, des navettes autonomes pourraient circuler à l'abri du trafic. Comme cela se fait déjà dans des zones fréquentées par des piétons, et là où le transport public est aussi absent.

Leur dernier argument : "Pour Nader, les campagnes de promotion actuellement menées à grande échelle par l'industrie automobile sont pour cette dernière une façon habile de s'attirer l'accès à de nouvelles ressources, alors que globalement le marché automobile sera par la force des choses en récession". Tout s'explique : c'est un complot fomenté par l'industrie automobile pour s'assurer sa survie. Marrant, non ? Plus sérieusement, on peut se dire que, dans un monde toujours plus urbanisé, il n'est quand même pas idiot d'automatiser des véhicules qui vont faire l'effort à la place du conducteur pour gérer la conduite dans les bouchons et aller se garer (en particulier s'il n'y a pas de place à proximité du lieu de destination souhaité). Et justement, les constructeurs savent bien que le modèle classique a vécu. Ils investissent dans les "nouvelles mobilités" (avec leur argent, pas celui du contribuable), que ce soit l'autopartage, la location entre particuliers et le taxi sans conducteur.

C'est juste un choc des cultures en somme. Face à des pouvoirs publics qui sont dépassés par les événements et n'ont pas les ressources pour investir, des acteurs privés (horreur, malheur !) essaient de tirer profit des avancées en matière de logiciels et d'intelligence artificielle. Je comprends qu'on puisse être contre la voiture autonome, car on raconte souvent n'importe quoi à son sujet. Que ce soit le cas d'une publication ayant la "prétention" de s'y connaître en robotique est déjà plus préoccupant. Pour faire simple, les véhicules vont progressivement s'automatiser. Ils pourront dans certains cas prendre le pas sur le conducteur quand il le décide. Ca, ce sera le cas de figure majoritaire et effectivement à grande échelle. Le taxi sans chauffeur est un autre cas de figure, plus ardu techniquement et dont les tests seront suivis à la loupe.

*Les auteurs réclament ce plan pour 2030 et dénoncent les réactions négatives et "mal fondées", dont celle de Challenges, qui a pourtant publié un article très juste.
**Une idée reçue très tenace est qu'il faut des infrastructures spéciales pour accueillir les véhicules autonomes. C'est plutôt le monde de la route qui aimerait profiter de l'essor du véhicule autonome pour installer des balises de communication.