samedi 19 mars 2016

Diesel : les querelles à la française et le reste du monde

Le travail de sape méthodiquement appliqué par les politiques et certains ministres, par leurs déclarations intempestives, le tout amplifié par le scandale Volkswagen, a fini par porter ses fruits. Aujourd'hui, ce n'est plus seulement un recul, mais un effondrement qui se profile. Les versions diesel ne représentent plus que 38 % des achats de voitures neuves des particuliers*, contre 44 % en 2015 et 64 % en 2012. Et ce chiffre va descendre à tiers en 2016 selon le CCFA. La dernière polémique en date concerne un pneumologue accusé de minimiser les effets nocifs du diesel et lié à Total. De quoi relancer les spéculations sur un complot planétaire.


Dans le Canard Enchaîné, j'ai effectivement lu un article sur le docteur Diesel qui était payé par Total. Nous parlons ici de Michel Aubier, un pneumologue de l'hôpital Bichat. Ce qu’on lui reproche, c’est d’avoir minimisé, lors d’une émission de télévision sur France 5, les risques sanitaires liés au diesel. De quoi déjà susciter la polémique, par les temps qui courent. Mais surtout, il est accusé de conflit d’intérêt car c’est aussi le médecin conseil du groupe Total. Il n’en fallait pas plus pour déclencher la fièvre médiatique. Total vend du gazole, le médecin nous dit que le diesel n’est pas si nocif. Donc, on nous ment, on nous spolie. Et en plus, ce docteur est déjà intervenu pour des conférences à la demande du CCFA, la chambre syndicale des constructeurs français.

La vérité est moins simpliste. Quand bien même ce docteur serait lié à Total, il faut savoir que le pétrolier n’a pas d’intérêts liés au diesel. Au contraire, Total perd de l’argent car il importe du gazole pour répondre à la demande. C’est de l’essence que les pétroliers raffinent en France. Je pourrais donc dire que Total a même plutôt intérêt à ce que le diesel baisse en France. Question : qu'aurait-t-on dit si ce docteur était lié à IKEA ?

Alors, le docteur a-t-il menti ?  Hé bien, pas vraiment. C’est vrai que l’OMS dit que le diesel est cancérogène. Mais, l’organisme se base sur une étude faite sur l’exposition de mineurs de fonds à des groupes électrogènes. Ce qui n’a pas grand-chose à voir avec les moteurs de voitures, surtout ceux d’aujourd’hui. Et de plus, le problème des particules est complexe, car il n’y a pas que le diesel, mais aussi des poussières liées à l’usure de la route, des plaquettes de freins et des résidus liés au chauffage et à l’industrie.

Je pense qu’on est aujourd’hui dans l’irrationnel, concernant le diesel. Le débat est tellement sensible que le public ne veut plus écouter ce genre d’arguments, surtout depuis l’affaire Volkswagen. C’est regrettable, mais c’est comme ça. En France, en tout cas.

Il arrive toutefois que les médias cherchent à voir plus loin que le bout de leur nez. A ma grande surprise, le JT de France 2 hier à 13 h a expliqué, via le correspondant à Berlin, que l'Allemagne avait résolu le problème en chassant les vieilles voitures des centres-villes. Et que le diesel, loin d'être combattu, continue de progresser en parts de marché. Ce phénomène n'étonne guère les spécialistes. La VDA,qui regroupe les constructeurs allemands, ne cesse de dire depuis quelques mois qu'il ne faut pas confondre affaire Volkswagen et le reste de l'industrie, et que le diesel fait partie des solutions incontournables pour la réduction du CO2.

J'ai pu aussi lire dans les commentaires d'un article du Monde relatif à cette affaire l'avis d'un lecteur éclairé (un certain JJA75) qui écrit ceci : "en regardant un peu à l'étranger, j'observe quand même que la municipalité de Tokyo, qui avait interdit le diesel au titre de la protection de la santé dans les années 90, envisage de lever cette interdiction au vu des progrès réalisés en matières d'émissions, du resserrement de l'écart avec les moteurs à essence, et de la lutte contre le réchauffement". Et ce monsieur a raison.

J'ai demandé confirmation à la JAMA, la chambre syndicale des constructeurs japonais. Oui, le "clean diesel" équivalent à Euro 6 bénéficie d'avantages fiscaux. On peut avoir plus de détails ici (à partir de la page 26). Contrairement à ce qu'on nous raconte, et la palme du plus gros mensonge revient à Anne Hidalgo, qui lors de sa visite à Tokyo a tenté de faire croire que le pays luttait aussi contre le diesel, cette motorisation diabolique a le vent en poupe. Elle a séduit 100 000 clients en 2014 (contre 78 000 en 2013, 55 000 en 2012 et seulement 8 000 en 2010).

Bon, tout ça pour dire que la France excelle dans les querelles stériles. On a bien compris que les mots diesel et Total sont bannis du vocabulaire, tout comme gaz de schiste. Il faudra sans doute ajouter industrie automobile d'ici quelque temps.


*Dans les entreprises, qui représentent 50 % des achats de voitures neuves en France, le diesel reste et de loin la motorisation majoritaire pour des raisons fiscales.