lundi 12 août 2013

Réflexions sur l’incompétence à la française : la sécurité routière

En ce mois d'août, qui est une période calme, je vous propose une série d’analyses qui vont pointer du doigt l’insuffisance de nos pouvoirs publics et de nos élites sur un certain nombre de thèmes (énergies alternatives, pollution, voiture connectée, aides à la conduite) où la France est soit très en retard, complètement à côté de la plaque ou soi-disant en avance. On va débuter par un sujet qui me paraît approprié pour les vacances, celui de la sécurité routière qui est traité en dépité du bon sens. Comme vous le savez, le CNSR* (Conseil National de Sécurité Routière) a proposé de baisser de 10 km/h les limitations de vitesse, pour obtenir 120 sur l’autoroute et 80 sur les nationales (sachant que certaines villes veulent même passer à 30). Et pourquoi ? Parce que la vitesse est selon ces ayatollahs (relayés par des « experts » à la Sécurité Routière) la première cause de mortalité.



Le problème, c’est que ce n’est pas vrai. Si l’on prend le cas des autoroutes, où la vitesse est la plus élevée, le nombre de victimes a reculé de façon spectaculaire (- 26 %) et s’établit à 143 victimes. Or, que dit l’ASFA (Association des Sociétés d’Autoroutes Françaises) ? Les accidents dûs à la vitesse ne représentent que 15,7 % et sont en net recul. Le problème vient plutôt de la somnolence, la consommation de drogue et d’alcool. Autant de thèmes sur lesquels les pouvoirs publics ne s’expriment (pratiquement) jamais.


Les décideurs seraient aussi bien inspirés de relire les travaux de l’association 40 millions d’automobilistes qui a patiemment épluché le traitement des accidents dans la presse régionale, dans le cadre de son Observatoire, et qui pointe d’autres raisons que la vitesse : l’influence de la météo, le rôle de l’infrastructure, les sorties de routes inexpliquées, la somnolence. Mais, puisqu’on vous dit que la vraie raison, c’est la vitesse ! La main sur le cœur, c’est ce que disent les associations de victimes. Pour avoir discuté avec une de ces personnes**, je l’ai sentie convaincue, vraiment sincère. Et comme elles reçoivent des soi-disants experts qui leur disent la même chose, le raisonnement s’auto alimente. De plus, tout le monde s’abrite derrière une statistique que brandit l’IFSTTAR (ex INRETS) : 1 % de vitesse en plus, c’est 4 % de morts en plus.


Pour en avoir le cœur net, la Ligue de Défense des Conducteurs (LDC) a eu l’idée de consulter un cabinet spécialisé, la Société de Calcul Mathématique. La formule a été moulinée dans tous les sens. Verdict : « du strict point de vue de la logique, les modèles utilisés par ces document sont inappropriés, incohérents et n’ont jamais fait l’objet de la moindre validation. Il ne s’agit que d’approches non scientifiques qui se citent entre elles ». Bref, c’est du bidon, comme les 10 % d’accidents mortels attribués au téléphone (et dont je reparlerai plus tard).


Il en faudrait plus pour décourager le petit (mais puissant) lobby des associations, abondamment relayé par une presse qui fait preuve d’une curieuse paresse intellectuelle (alors qu’elle ne donne que rarement la parole à d’autres qui pourraient aussi éclairer le débat). C’est ainsi que le LAVIA*** a été ressuscité pendant un temps et même vendu comme un système qui ferait de la France un leader mondial. Nicolas Sarkozy était tombé dans le panneau (jugeant que cela pourrait servir sa cause (lui qui avait promis de réduire de moitié le nombre de morts sous sa présidence et qui a d’ailleurs échoué). Imposer un système qui empêche les conducteurs de dépasser la limite de vitesse : tel était l’objectif un peu fou de ces grands penseurs.


On leur fera juste remarquer qu’il existe déjà des avertisseurs de danger (les avertisseurs de radars qu’on avait voulu interdire) qui indiquent à quelle vitesse il faut rouler et qu’un certain nombre de modèles (mais chez aucun constructeur français) ont une caméra qui peut reconnaître les panneaux, interpréter la limitation et la comparer avec la vitesse du véhicule pour signaler au conducteur qu’il va trop vite.


La dernière trouvaille est la boîte noire, ou plutôt l’enregistreur d’accidents. Ce système, qui enregistre un certain nombre de paramètres en continu, et ne stocke dans sa mémoire tampon que les 30 secondes avant le choc et les 30 suivantes, pourrait avoir un effet psychologique. Pour les associations, un tel dispositif dissuaderait les conducteurs de rouler trop vite car on saurait en décryptant les données à quelle allure allait le véhicule. Moi, je fais plutôt le pari que si une telle boîte noire devait voir le jour – ça ne se fera qu’au niveau européen, alors on a le temps de voir venir… - ça serait utile pour connaître avec précision les causes d’accident. Et on serait sans doute surpris. On le voit bien, l’administration qui gère la sécurité est totalement défaillante en France. Son postulat est que les conducteurs ne respectent pas la loi et qu’il faut les punir par toujours plus de répression (au risque d’emballer la machine à retirer des points et d’augmenter le nombre de conducteurs qui roulent sans permis).


La solution serait sans doute de sortir la Sécurité Routière de la tutelle du ministère de l’Intérieur (dont le ministre marche sur les pas de Sarkozy et veut lui aussi laisser sa trace dans l’histoire par des promesses intenables, avec les mêmes coups de menton) et de la placer sous la responsabilité de Matignon (comme cela était le cas à une époque). Hélas, les radars sont des vraies cash machines et c’est un bon moyen d’augmenter les impôts sous le couvert de la protection des personnes. De plus, on nous explique que la baisse des vitesses, c’est bon pour l’écologie aussi. Alors, pourquoi s’embêter à investir dans la formation des conducteurs, la remise à niveau des infrastructures, ou encore lutter contre la bombe à retardement que constitue le mélange cannabis plus alcool, quand il suffit de se référer à la vitesse. Et tant pis si on ment aux français.

Demain, je parlerai des aide à la conduite.

*Conseil qui a été réactivé assez récemment et qui regroupe pas mal d’associations, avec une écrasante majorité de membres qui n’aiment pas l’automobile. Ce conseil était présidé à une époque par Robert Namias (ex TF1) et comptait dans ses rangs Bernadette Chirac !
**Marie-Christine Cazals de l’association Victimes et Citoyens
***Limiteur s’adaptant à la vitesse autorisée : système qui a été testé par PSA et Renault au début des années 2000, et dont le gain serait de 250 vies si tout le parc était équipé. L'infographie est du Figaro.